19 – L’eau « à la pile »
Rien de plus naturel aujourd’hui que d’ouvrir le robinet de la cuisine. Mais il en a coulé de l’eau sous les ponts pour arriver jusqu’à la pile !
En effet. En Provence autrefois, la cuisine ne se distingue des autres pièces que par une pierre d’évier (la fameuse pile en pierre de Cassis) munie d’un tuyau pour l’évacuation des eaux ménagères mais dépourvue de robinet puisque l’eau courante n’est pas encore d’actualité avant 1900. Une pile qui doit son nom à son creux arrondi utilisé comme mortier pour piler la nourriture. La plupart des maisons sont dotées d’un puits ou d’une citerne, dont l’eau est généralement douteuse.
Comment assurer une hygiène convenable en ces logis dépourvus d’eau ? L’obligation d’aller à la fontaine contraint forcément à l’économie et la toilette est souvent plus que sommaire. Le poète marseillais Victor Gélu avoue n’utiliser pour ses ablutions d’une semaine qu’une cruche de 10 litres et pourtant, garçon boulanger, il se dit « obligé d’être propre » !
Et puis, arrive l’eau « à la pile », un luxe extraordinaire », comme le décrit Marcel Pagnol dans « La gloire de mon père ». « Il suffisait d’ouvrir un robinet de cuivre, placé au-dessus de l’évier, pour voir couler une eau limpide et fraîche… Je ne compris que plus tard le miracle de ce robinet : depuis la fontaine du village jusqu’aux lointains sommets de l’Étoile, c’était le pays de la soif. C’est pourquoi, quand une paysanne venait nous apporter des œufs ou des pois chiches, et qu’elle entrait dans la cuisine, elle regardait, en hochant la tête, l’étincelant Robinet du Progrès ».
Dans les immeubles marseillais, après l’arrivée des eaux de la Durance par le canal, il vaut quand même mieux habiter au rez-de-chaussée pour bénéficier de « l’eau à la pile ». Au dernier étage, au niveau des chambres de bonnes, on doit le plus souvent se contenter d’un robinet commun sur le palier compte tenu d’une faible pression.
La plupart des maisons marseillaises sont pourvues de petites pièces et il n’est pas question d’y installer une salle de bains. La toilette s’effectue donc dans la cuisine, dans une bassine. Une habitude qui va perdurer dans les quartiers jusqu’à la moitié du XXe siècle.
Pour inviter les Marseillais à s’abonner au service des eaux, les conduites ont été posées devant les habitations, desservies par des robinets de jauge ou robinets libres d’où le liquide s’écoule à très petit débit dans les caisses à eau de chaque appartement. En 1876, c’est le cas pour 371.000 Marseillais qui disposent ainsi de cette fameuse eau « à la pile » tant attendue